Combien de terre faut-il à un homme ?

Combien de terre faut-il à un homme ?

Combien de terre faut-il à un homme ?


Je ne sais pas combien de terre il faut à un homme. Je dirais -naïvement- qu’il lui en faut pour le nourrir, lui et sa famille, ainsi qu’un peu plus pour qu’il cultive des denrées à vendre… C’est précisément ce « plus » que questionne la superbe adaptation d’une nouvelle de Léon Tolstoï par Annelise Heurtier (auteure) et Raphaël Urwiller (illustrateur). Un album au format à l’italienne qui a la grâce un peu désuète des images imprimées en risographie. Mais le petit nombre de teintes très vives employé dans ces pages splendides confère à l’album une contemporanéité et un dynamisme qui servent bien le propos. À savoir la cupidité et l’avidité d’un moujik (paysan russe), Pacôme, qui ne se contente pas de la vie simple qu’il mène dans son isba. Au contraire, Pacôme envie tant et plus les parcelles de ses voisins, jusqu’à en perdre la vie. Ces sentiments de frustration conduisent en effet Pacôme à l’autre bout du royaume,  à l’autre bout de son existence, qu’il imaginait toujours plus agréable, enviable et confortable au fur et à mesure des acquisitions qu’il réalise.
Les thèmes de l’envie de possession matérielle et de la (prétendue) nécessité d’accumulation font largement écho aux travers de nos sociétés occidentales, replètes et, parfois, déboussolées. La quête de la propriété, les injonctions à l’accumulation de biens : Pacôme les vit, déjà, au tournant du 20° siècle. Il ne fait pas figure de sage, s’essoufflant littéralement à rechercher l’extension de ses propriétés.
Août 2014. 40ISBN : 9782364744912.

Mots et toile

L'argent. Marie Desplechin, Emmanuelle Houdart (illustratrice).

L'Argent, Marie Desplechin, Emmanuelle Houdart. Éditions Thierry Magnier, 2013.

L’Argent, Marie Desplechin, Emmanuelle Houdart. Éditions Thierry Magnier, 2013.


L’argent n’est ni facile, ni dû, ni une solution à tout. L’argent ne fait pas le bonheur, c’est le nerf de la guerre. L’argent peut manquer, se gagner à la sueur de son front, être volé ou dilapidé. On peut hériter d’argent, mon père me dit qu’il faut trois générations pour défaire un héritage. On peut être vénal, choisir de ne plus en faire une monnaie d’échange, faire comme si jamais il ne manquait, se faire de l’argent sur le dos des autres.
Je peux filer la métaphore longtemps, mais voilà, la question est toujours là, au coeur de la condition de l’homme né moderne, ultra présente chez l’homme post-moderne. Marie Desplechin écrit ici un conte contemporain au fil de douze monologues saisissant les rapports variés à l’argent. Elle arpente les versants symboliques de la monnaie, la monnaie comme vecteur d’échanges pas que pécuniaire. Derrière l’argent, se lovent des transactions sous-jacentes -affective, assassine, solidaire, vengeresse, salutaire. Marie Desplechin brosse une galerie de personnages aux caractères marqués. De ces contrastes jaillissent des relations forcément compliquées ; les relations tortueuses que chacun entretient avec l’argent. Tout ce petit monde, la dynastie centrale du récit et les amis, sont assez hauts en couleurs, grâce à la palette vive et baroque d’Emmanuelle Houdart.
Le livre se construit en douze chapitres autour des personnages principaux et s’articule en un arbre généalogique dont chaque branche est un élément saillant de la famille. Chaque chapitre s’intitule du prénom des protagonistes, en quelques mots un incipit propose une orientation de son rapport à l’argent – et aux autres.
Parution octobre 2013 / 27,5 x 37 cm / 56 pages
ISBN 978-2-36474-305-2
prix indicatif : 21.90

Mots et toile

Emmanuelle Houdart, auteure et illustratrice (pas que) jeunesse

 

L'abécédaire de LA COLÈRE, Emmanuelle Houdart

L’abécédaire de LA COLÈRE, Emmanuelle Houdart, Éditions Thierry Magnier, 2008


Emmanuelle Houdart est une auteure et illustratrice dont les albums jeunesse composent un génial concentré pour aborder des thèmes souvent transgressifs tels que l’argent, la colère : bref, Emmanuelle Houdart s’attaquerait frontalement aux sept péchés capitaux qu’il n’en n’irait pas autrement. Elle réalise des dessins aux contours noirs rehaussés de couleurs qui ne sont pas sans rappeller les gravures des siècles passés. Chaque album obéit à un parti pris chromatique dont l’unité forme un ensemble extrêmement délectable… Le rouge est très souvent présent, le noir du trait aussi, pour des planches toujours très fortes.
Tel est le duo coloré qu’Emmanuelle Houdart déroule dans L’abécédaire de LA COLÈRE, au fil des pages qui présentent chaque lettre de l’alphabet dans le contexte de ce sentiment puissant, tour à tour dévorant, envahissant, rongeant, exténuant, frustrant, provocant, refoulé, exacerbé, déplacé, abusif, salutaire, salvateur, destructeur, culpabilisant, rageur, défouloir, (im)pardonnable, inacceptable, systématique, pathologique, incurable… La colère est abordée de l’intérieur pour mieux être décortiquée, passée au scalpel de la sagacité d’Emmanuelle Houdart.
Une seule solution paraît valable pour contrer la colère, ne pas l’enfouir mais la faire sortir… le rire : sortez vos zygomatiques de leur torpeur, dégelez vos muscles rieurs. E. Houdart préconise également de la liquider au moyen d’une posture de yoga qui ne laisse pas d’espace au ressenti : la tortue. Mon doigt a dérapé sur la clavier, j’ai failli écrire la torture. Oh lapsus !
Emmanuelle Houdart bâtit son vocabulaire graphique avec des créatures hybrides, relevant de l’humain et de l’animal, du merveilleux et du monstrueux : deux facettes qu’elle ne dissocie jamais du va-et-vient de nos existences. Ses personnages sont le pile et le face d’une même pièce, l’avers et le revers d’une même médaille. Ils tissent un monde de tolérance, de nuances, de complexité reflétant l’humanité elle-même. Ils luttent contre la puissante dictature de l’apparence, clament un message d’humanisme tout en exhortant les lecteurs et lectrices que nous sommes à revendiquer les facettes multiples de nos personnalités. Emmanuelle Houdart met en lumière les différents états émotionnels de ses personnages, pour mieux saisir nos aspirations à « être ».
Au fil de ses albums, Emmanuelle Houdart se promène de plus en plus loin dans les méandres de sa capacité imaginative et actionne tous les ressorts de son expression plastique. Houdart transforme la vie en art avec ses doigts d’or. Regardez du côté de son petit dernier, le splendide album Abris. La palette est vive, nuancée toujours, pleine de subtilités et de gaieté. Décidément, il faut lire, grands et petits, il faut voir, Emmanuelle Houdart, Emmanuelle Ou D’Art …
Les albums d’Emmanuelle Houdart sont édités par les Éditions Thierry Magnier.

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