La place du diamant, Mercè Rodoreda

Mercè Rodoreda (Barcelone, 1909 ou 1908 ? – Gérone, 1983) est une grande dame des lettres Catalanes. Romancière, poétesse, elle commença à publier très jeune comme journaliste de presse pour le quotidien catalan la Généralité. Dans son travail de romancière et de poétesse, elle n’a eu de cesse de livrer une écriture poétique au sens premier étymologique du terme : une écriture de création. Chez les grecs antiques, chez Aristote entre autres, la poïèsis correspond à l’acte créateur : fructueux, riche, générateur de nombreux fruits. J’aime bien m’en rappeler, c’est un peu ma « vigilance » qui ne m’a pas quittée depuis le collège. Penser que la poésie c’est créer, et que l’acte créateur en art, en littérature, en sciences, en danse, à l’opéra, en bande dessinée, en musique, au cinéma, en mathématiques, c’est de la poésie. Tout cela est inextricablement lié.
Certains titres de Mercè Rodoreda sont traduits en français : Miroir brisé (Mirall trencat), Tant et tant de guerre, La mort et le printemps. Miroir brisé est un roman très abouti du point de vue des expérimentations sur la langue, la syntaxe, et les ambiances y sont lourdes, étranges, ensorcelantes, envoûtantes, certains passages m’ont laissé un goût de venin puissant mais pas mortel, une sensation de lecture vraiment singulière et dérangeante. Beaucoup d’images surgissent à la lecture des oeuvres de Mercè Rodoreda, un intense répertoire de personnages brisés par les conflits, les situations oppressantes et particulières est transcendé, sublimé par son style et son pouvoir de romancière minutieuse, je serais tentée de dire magicienne.

La place du diamant, Mercè Rodoreda

La place du diamant, Mercè Rodoreda


La place du diamant est le premier roman que j’ai lu d’elle, la rencontre avec cette écriture si paticulière m’a marquée. Natalia, une femme des quartiers très populaires de Barcelone, le Gràcia (aujourd’hui, on déambule encore longuement sur le Passeig de Gràcia, que Manuel Vasquez Montalban explore dans son très historique et dense roman Barcelones, qui met la ville en livre) relate son existence de femme dévouée à ses enfants, son mari, sur fond d’obscurités : IIè république, guerre civile*, années noires du Franquisme. Mercè Rodoreda narre son récit à la première personne, faisant entrer le lecteur dans l’intimité de la vie de Natalia et des classes populaires d’alors. Pour autant, comme toujours chez Rodoreda, nul misérabilisme, nul apitoiement, nulle volonté de retranscrire un portrait réaliste de femme dans les années noires de l’Espagne et la Catalogne, pas d’obligation de vérité ni d’historicité. Il n’y a pas non plus de faux-semblant ni d’univers édulcoré. Pourtant l’arrière-plan des conflits consitue la toile de fond de l’existence ordinaire de Natalia qui se bat pour survivre au sein d’une époque très mouvementée. Dans ce récit faussement simple, Mercè Rodoreda donne à lire une vision d’écrivain, qui sous sa plume enchantée et grave chante la puissance de Barcelone, une Barcelone multiple et complexe, porteuse de tant d’espoir et de désillusions, Barcelone qui devint La Ville des Prodiges pour Eduardo Mendoza.
*Après une insurrection au Maroc espagnol le 16 juillet, la Guerre Civile Espagnole éclata sur le sol ibère et dura 986 jours, du 18 juillet 1936 au 29 mars 1939. On dénombrera plus d’un million de morts. Déjà en gestation, les lignes de faille des meurtrières décennies à venir étaient toutes tracées.
La place du diamant, Mercè Rodoreda, Collection L’Imaginaire, Éditions Gallimard, dépôt légal mars 2006, traduit du catalan par Bernard Lesfargues, avec la collaboration de Pierre Verdaguer. Titre original La Plaça del diamant. EAN 9782070779567.

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