Dans une autre vie, j’ai été médiéviste. Bien que cette période soit lointaine et révolue, elle n’en fut pas moins riche et passionnante. Cela remonte à une petite dizaine d’années et j’avais choisi -enfin j’avais été téléguidée, car les sujets de recherche, comme chaque impétrant l’apprend plus ou moins à ses dépends, ne sont vraiment jamais choisis que par le directeur de recherches dont il épouse les problématiques- un groupe de manuscrits épiscopaux du 11ème siècle. Je pensais m’orienter vers l’étude de peintures murales médiévales or la région comtoise n’en comptait plus aucune ou des fragments déjà étudiés. Pendant les 3 ans que durèrent les années de maîtrise et de DEA, j’ai lu, vu, bu, mangé, respiré, écouté, goûté, rêvé d’art carolingien et roman, jusqu’à l’indigestion. Une fois le contenu spécialisé englouti, j’avais atteint le trop-plein. J’ai fort heureusement observé un jeûne de quelques mois, puis, doucement je suis revenue à ce qui touche à l’histoire de l’art, et à tâtons j’avançai vers la période médiévale. Ma mémoire semblait fonctionner comme un catalyseur de données, les bénéfices de mes explorations artistiques, culturelles et littéraires étaient exponentielles, je me régalais des essais de Daniel Arasse, des théories picturales d’Antoni Tàpies, de la correspondance de Gertude Stein avec Pablo Picasso, des écrits non romanesques de Marguerite Yourcenar, des théories sur la peinture de Zola ou Stendhal.
Le nom chantant de Pastoureau (qui signifie aussi berger) me revenait régulièrement en mémoire, son ouvrage sur la symbolique des couleurs traînait chez mes parents, je le feuilletais pour mes cours d’arts plastiques au lycée. Je l’avais relégué dans la case baccalauréat dont je n’actionnerais plus le tiroir. Quoique… Un beau jour, son opus BLEU a connu un retentissement que nulle publication de ce petit-cousin de Claude Levi-Strauss n’avait éprouvé jusqu’alors. Les vitrines des librairies se paraient de cette couverture bleu Klein format carré ; la presse spécialisée criait au génie devant cette astucieuse somme consacrée à une couleur, abordée dans d’innombrables nuances et avec une érudition joyeuse. Tout Pastoureau était là, le savoir, la transmission, le plaisir de connaître et d’enseigner. Avec rigueur. Avec passion. Non sans humour. Le beau BLEU est intéressant à plus d’un titre.
Il balise l’histoire des couleurs dans les sociétés occidentales depuis les peintures pariétales, resserrant le cadre sur le début de l’époque chrétienne en Occident, mieux lotie en documents écrits et témoignages graphiques, plastiques et sculptés. Michel Pastoureau déroule le fil de la couleur bleue jusqu’à aujourd’hui, où elle est devenue « la couleur favorite des européens », rimant avec consensus dans le pire des cas, avec équilibre spirituel (parce que procurant un apaisement occulaire) dans le meilleur. Au fil du temps, le bleu est tantôt une couleur discrète, tantôt une teinte intense, synonyme de pouvoir.
Si je ne devais retenir qu’un aspect du livre, ce serait : la composante culturelle des couleurs. Une couleur est avant tout le résultat d’une construction sociétale, dont la perception diffère selon les civilisations. Ainsi les Inuits possèdent des dizaines de mots pour désigner le neige, puisque leur univers est fait de blancs… Une couleur n’est jamais une, elle échappe, fait son chemin, n’obéit jamais à un seul attribut. Juste après les fêtes de fin d’année et les atroces ‘jouets genrés’, d’aucuns peuvent se souvenir qu’il était une fois, le rose était la couleur portée par les hommes, et les figures de la Vierge se drapaient d’étoffes d’un bleu outremer intense…
BLEU. Histoire d’une couleur. Éditions du Seuil, 2002, 216 pages (2000 pour la première édition avec 90 illustrations). ISBN 2.02.055725.8
Bibliographie (très) sélective :
Le Petit Livre des couleurs, Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Panama, 2005. ISBN 2755700343.
La Bible et les Saints, Michel Pastoureau, Gaston Duchet-Suchaux, Flammarion (Tout l’art référence), 2006. ISBN 2080115987.
Le Cochon. Histoire d’un cousin mal aimé, Michel Pastoureau, Gallimard (Découvertes n° 544), 2009, 160 p. ISBN 2070360385.